
Journée Innovations métallurgiques dans les industries de la Défense - JIMID 3 - 2021
Les Innovations matériaux pour l’industrie de la Défense étaient au cœur de la JIMID (Journée Innovations métallurgiques pour les Industries de la Défense)) qui se tenait le 12 octobre 2021 pour la 3ème édition à l’Ecole Militaire (Paris). Cette journée était l’occasion de rencontres entre industriels et d’exposés techniques sur les problématiques de traitements de surface et des nouveaux matériaux.
Des rencontres entre industriels

Cette journée consacrée préférentiellement aux industries de défense aéronautique et spatiale était centrée sur deux thématiques; d’une part les traitements de surface innovants et les problèmes environnementaux qui sont actuellement d’une grande importance, d’autre part les avancées dans le domaine des matériaux métalliques avec notamment les matériaux à hautes caractéristiques mécaniques à chaud et pour protection balistique, les apports de la simulation numérique, de la fabrication additive, de l’assemblage par friction et de l’expertise en physique des chocs. Cette journée, qui réunissait près de deux cents participants, était l’occasion de rencontres et d’échanges. Etaient présent producteurs d’alliages métalliques à hautes performances, industriels de la défense, organismes de recherche et centres techniques industriels, ainsi que les institutions publiques et privées en lien avec le monde de la défense. Cette journée a permis de souligner les synergies à développer entre la métallurgie, l’industrie de la défense et le monde de l’innovation et de la recherche.
Cérémonie d’ouverture – Innovations matériaux des JIMID
Jacques ROUJANSKY, représentant Benoit DURIEUX (Directeur de l’IHEDN) accueillait les participants et rappelait le rôle de l’IHEDN (Institut des Hautes Etudes de Défense Nationale). Le Général Jean Christophe CARDAMONE donnait ensuite sa vision sur 40 ans d’évolution des matériaux avec une approche SWOT sur les matériaux métalliques et les problèmes de désindustrialisation actuels. Cécile SELLIER, Directrice Technique de la Direction Générale de l’Armement (DGA), rappelait que les matériaux métalliques étaient clairement au cœur des systèmes d’armes et listait les 4 domaines majeurs : les matériaux thermo-structuraux pour les moteurs militaires (aubes), l’intégrité des structures et la suppression des substances CMR, le blindage et la protection et le domaine naval (fabrication additive, tenue des joints soudés au flambement). Emmanuel CHIVA, Président directeur général de l’Agence Innovation Défense (AID), brossait le tableau des aides aux entreprises innovantes (Fond d’Innovation Défense, programme ASTRID, …, projet Blast3D+). Enfin, Jérôme FABRE, Président directeur général de la branche Alliages Haute Performance du Groupe ERAMET rappelait l’impact de la crise sanitaire sur le chiffre d’affaires mais notait que les ventes progressaient fortement à ce jour. Il notait également que certains matériaux étaient critiques pour la souveraineté nationale (titane et superalliage base nickel).
Les traitements de surface innovants et les problématiques environnementales
La matinée, animée par Pascal LAMESLE, Responsable Scientifique et Technique (IRT-M2P), était consacrée à des exposés techniques en rapport avec les protections de surface, la réglementation REACH et les traitements de substitution.
Gilles CHOLVY (NEXTER) dressait le bilan technique et les perspectives après 5 années d’études pour le remplacement des traitements de surface impactés par REACh pour les matériels de Nexter Systems. Il notait qu’il n’y aurait pas un seul traitement en remplacement du chrome dur, mais plusieurs candidats possibles en fonction de l’application. Le nickel chimique au phosphore (développé avec la société ATOTECH et en cours de validation industriel) est efficace pour le remplacement du chrome dur pour des pièces non sollicités thermo-mécaniquement avec des exigences en usure abrasive, tenue à la corrosion, frottements sous fortes charges, durcissement de surface. En revanche, pour des sollicitations thermomécaniques, ce nouveau traitement n’est pas satisfaisant et NEXTER a une autorisation d’exploiter le chrome dur sur son site de Tulle jusqu’en Septembre 2019. Sur pièces en aluminium de la série 7000, l’Alodine 1200 peut être remplacé par le Surtec 650 entre autres.

David SINOPOLI (AIRBUS HELICOPTERS) exposait « les solutions de protection et prévision anticorrosion sur hélicoptères ». Les 3 facteurs de corrosion sont l’hygrométrie, la température et la salinité. Deux types de capteurs embarqués collés en surface ont été utilisés ; un capteur hygrométrie/température et un capteur de salinité qui permettent de mesurer en temps réel l’exposition réelle de l’appareil aux facteurs de corrosion et pourraient à termes être utilisés pour la maintenance conditionnelle et pour l’amélioration des procédures d’essais accélérés au vieillissement. Ces capteurs ont une autonomie proche de l’année si la fréquence de mesure est de 15 minutes environ.
Marjorie CAVARROC (SAFRAN) discutait ensuite de « l’apport des technologies plasmas et fluides supercritiques au remplacement du Cr dur pour des applications défense ». Elle notait tout d’abord que la contrainte réglementaire REACh a été paradoxalement un catalyseur d’innovations dans le domaine des traitements de surface. Les couches minces comme le PVD HiPIMS (High Power Impulse Magnetron Sputterring) avec des couches de TiN et TaN et le SFCD (SuperCritical Fluid Chemical Deposition) font partie des innovations qui ont émergées et qui sont étudiés chez SAFRAN. Si le HiPIMS est limité en termes d’épaisseur de dépôt, le SFCD proche du CVD pourrait permettre de lever ce verrou. Il était confirmé qu’il n’y aurait pas une alternative unique au chrome dur.

Cécile DAVOINE (ONERA) présentait les « résultats d’étude sur les matériaux transpirants » pour une application chambre de combustion (gaz à 2000 K) des moteurs militaires récents. Actuellement, les parois multi-perforées permettent le refroidissement des pièces mais ces dernières présentent une durée de vie limitée et nécessitent d’optimiser le refroidissement pour optimiser le maintien opérationnel de la flotte. Des pistes exploratoires ont été étudiées (projet MOSART) grâce à la liberté de formes autorisée par la fabrication additive (EBM – TA6V). L’ONERA a ainsi pu rajouter des canaux secondaires, et fabriquer des matériaux poreux en jouant sur la vitesse de balayage du laser et sa puissance afin de réaliser une fusion partielle des grains. Une pièce pourrait ainsi être composée de zones denses jouxtant des zones poreuses afin de créer en surface des couches de flux d’air. Des simulations numériques ont montré que la transpiration améliorait le refroidissement des matériaux étudiés.
Gilles LE PAGE (MBDA) exposait en fin de session, « les solutions déployées par MBDA en réponse à la problématique REACh sur les traitements de surface ». Le cadmium est ainsi remplacé par le zinc-nickel 12-16, l’OAC (Oxydation Anodique Chromique) par l’OAS (Oxydation Anodisation Sulfurique) avec encore quelques difficultés sur les grandes pièces de fonderie (chaîne d’approvisionnement du traitement non disponible). Pour les pièces de fonderie, il précisait que l’OAS peut générer des piqures de corrosion (davantage que l’OAC) et que le rinçage des pièces était plus complexe. Enfin, le chrome 6 peut être remplacé par le chrome 3. Pour les pièces mécaniques, il était souligné que MBDA a développé tous les traitements disponibles sans changer le matériau de base. En revanche, pour les aciers haute résistance, il y a souvent lieu de procéder à une reconception complète des pièces avec un autre matériau de base mieux adapté à la corrosion. La robustesse des solutions sans chromate vis-à-vis des milieux corrosifs agressifs est cependant réduite pour les alliages à haute résistance mécanique des séries 2000 et 7000.
Les innovations dans les matériaux métalliques
La session de l’après-midi, animée par Hubert SCHAFF de la SF2M était consacrée aux matériaux métalliques et aux innovations et outils numériques de simulation.

Charlotte MAYER présentait les « Innovations alliages métalliques et applications » développés chez AUBERT & DUVAL (Groupe ERAMET) sous l’aspect alliage et fabrication de poudres pour la fabrication additive. En particulier, l’AD730 présente des performances supérieures de 50°C en fluage à l’Inco718 pour une tenue en fatigue à 550°C équivalente. La nuance ARMAD (32CrMoV12-10) améliore la tenue à l’usure des alésages d’armes petits calibres avec des essais de tirs de qualification aux USA en cours. Enfin le MLX17 et MLX19 présentent une combinaison de haute résistance à la corrosion, de tenue mécanique et de ténacité pour des pièces critiques dans des applications aéronautiques et missiles (sans revêtement de cadmium). Pour la fabrication additive, il était noté que les TTH doivent être adaptés par rapport aux nuances de fonderie. Ainsi, la nuance 738LC présente une forte teneur (45 % environ) en phase g’ (favorable pour les propriétés mécaniques) sur les pièces issues de fonderie alors qu’en fabrication additive, cette phase est quasiment absente. Un TTH (Traitement Thermique) avec un palier supersolvus préalable permettant la recristallisation du grain et la génération d’une distribution bimodale de précipités g’ avec des grains plus importants proches de ceux de la fonderie permettant d’accroitre les propriétés mécaniques.

Damien DELORME d’INDUSTEEL (site du Creusot) présentait les « Aciers haute performance pour la protection balistique ». Il rappelait tout d’abord la corrélation entre la dureté et la tenue à la perforation. Cependant, la résistance à la fragmentation diminue avec la dureté. De ce fait, un compromis doit être trouvé. La gamme des aciers MARS® , entièrement revue en 2019, permet d’offrir un large choix aux industriels de la défense avec différents niveaux de dureté (280 HB à 650 HB). La nuance MARS550 est la plus utilisée avec un gain de poids de 30 % par rapport à la nuance MARS380 avec des très bonnes performances mécaniques (500 HB, RM 1700 MPa, Rp0.2 1250 MPa et KV de 28 J). Le MARS440 peut être utilisé, quant-à-lui, en application anti-blast pour les planchers de véhicules avec une version autotrempant pour les fortes épaisseurs (70 mm). Enfin, les tôles perforées en MARS660 sont utilisées en sur-blindage. Les perforations permettent d’interagir avec les projectiles en réduisant le poids de 35 % pour des performances quasiment identiques aux composites pour un coût moindre.
Florent BRIDIER de NAVAL GROUP présentait la « Simulation numérique des procédés de fabrication (soudage) et les enjeux et applications aux structures navales de défense » et relatait les développements réalisés sur le soudage de grandes tôles. Il s’agit en effet d’avoir des temps de calcul raisonnables sur des pièces avec un très grand nombre de mailles en multi-physique complexe tenant compte des joints soudés. Tout d’abord, sur la base d’études paramétriques (projet AMERICO), différentes méthodes simplifiées ont été utilisées afin de permettre la simulation de soudage multi-passes de structures en acier de forte épaisseur. L’exploitation de la méthode des « retraits inhérents » a abouti à la prédiction des déformés globales de panneaux raidis avec de multiples soudures. NAVAL Group travaille également sur la simulation du formage de tôles épaisses de sous-marin et de la fabrication additive WAAM (pale d’hélice).


Meriadeg REVAUD de la société ArianeGroup présentait les « Application de la fabrication additive ». Quatre procédés additifs sont utilisés en interne : le LBM (le plus mature et le plus utilisé) sur pièces base Ni, Ti, aluminium et acier, l’EBM (titane), le WAAM (dépôt de fil) pour l’aluminium, le titane, le nickel et l’acier et enfin de Cold Gaz Spray. En particulier était comparée les développements du moteur VUCAIN (actuel) avec le futur moteur PROMETHEUS utilisant largement la technologie additive. Pour la tête d’injection du nouveau moteur, une seule pièce en fabrication additive a remplacé 150 pièces. Pour PROMETHEUS, il était noté la nécessité de maitriser toute la chaine de la valeur : conception des pièces, simulation process et qualité des poudres. Le temps de développement est réduit avec l’additif avec la possibilité de faire 4 boucles d’essais en 3 ans pour PROMETHEUS contre 1 bouche en 3 ans pour le VULCAIN. Dans les perspectives, il était évoqué la nécessité de travailler sur la productivité (multi-laser, puissance laser) pour limiter les coûts encore importants et le développement de moyens de contrôle in-situ (thermique, …) de la fabrication.

Aymeric DE MONCLIN, le DG de TRA-C présentait les « Assemblages innovants avec la technologie FSW (Friction Stir Welding) pour les applications défenses et duales ». Cette PME lyonnaise de 120 personnes investit 25 % en efforts de R&D en particulier dans le FSW. Le FSW présente de nombreux avantages (pas de matériaux d’apport, pas de passage en phase liquide, pas de fumées, soudage de matériaux hétérogènes, …) et permet d’augmenter considérablement la productivité grâce à une vitesse de soudage élevée (3 m/min). TRA-C fournit NEXTER, Arquus ou Thales Alenia pour assembler par FSW des châssis, … , ou structures en aluminium. Mais de nombreuses autres applications duales (hors défense) étaient citées : pour l’automobile (Renault, …) ou l’aéronautique (Latécoère). Aymeric DE MONCLIN précisait que les applications étaient en croissance avec des perspectives d’évolution de FSW vers l’acier et un challenge sur le soudage du titane (tenue du pion).

Enfin, Pierre HEREIL, expert en physique des chocs chez THIOT Ingénierie présentait son « Expertise en Physique des Chocs : optimisation des solutions Défense par la corrélation entre l’expérience et la simulation numérique ». La tenue aux chocs et à la pénétration des matériaux présente souvent une transition entre un comportement d’endommagement général classique (pour une faible vitesse d’impact) à un endommagement local (à forte vitesse d’impact) où les gradients de pression n’ont pas le temps de se transmettre à l’ensemble de la structure. A forte vitesse d’impact, dans les métaux, les cinétiques ultra-rapides de changement de phases (quelques nanosecondes) transforment la matière presque instantanément. Ces changements de phase ne sont, à l’heure actuelle, pas ou très peu pris en compte dans les modèles de simulation numérique servant à prédire les endommagements à forte vitesse. Des essais sur bancs sont indispensables pour valider la tenue des structures à l’endommagement ou recaler les modèles.
Conclusions de la journée Innovations matériaux
François MESTRE, Chef du Service des affaires industrielles et de l’intelligence économique de la Direction Générale de l’Armement (DGA), en conclusion de la journée, rappelait les grands enjeux de la filière : 200 000 emplois en France, 8 grands donneurs d’ordre (Nexter, Arquus, Ariane Group, …), 4000 ETI et PME, 28 milliards de chiffre d’affaires, 5.7 milliards à l’Export, un marché tiré par la demande, très règlementé et de temps long (plusieurs décennies) et enfin une R&D très active. Il rappelait que la DGA accompagne les industriels par un actionnariat dans certains grands DO, par des aides à la R&D (études en amont, Rapid, investissement dans les entreprises et soutien aux pôles de compétitivité). François MESTRE mettait enfin en avant la nécessaire compétitivité de la filière, la résilience et la pérennité et enfin la sécurisation des approvisionnements.