
Métallurgie numérique en fonderie forge et fabrication additive.
La métallurgie numérique est une nouvelle discipline qui permet, en amont de la production de pièces, de calculer et prédire le comportement d’un alliage lors de sa transformation et ses propriétés fonctionnelles à l’aide d’outils numériques par différentes approches possibles (méthodes ab-initio, Calphad, simulation de la microstructure, Machine Learning).
L’approche numérique et expérimental

La métallurgie numérique est évidement complémentaire à l’approche expérimentale, mais elle ne la remplace pas. Les avantages de l’approche numérique – qui précède l’expérimental- sont multiples : un plus faible coût, des résultats rapides et non dispersés, la possibilité d’explorer de multiples compositions ou microstructures et de tester des hypothèses difficiles à appréhender par l’expérimental et enfin une meilleure compréhension des paramètres de premier ordre. La qualité des simulations est liée directement aux bases de données et aux modèles. Pour des alliages connus et donc bien documentés, les résultats sont en général très performants. Pour des alliages moins documentés, il y a lieu d’avoir plus de recul sur la qualité des résultats. L’expérimental doit, in fine, venir confirmer ou préciser les résultats de l’approche numérique. L’expert métallurgiste doit également interpréter et préciser le domaine de validité des résultats.
Les différents outils de la métallurgie numériques

Il existe de nombreux outils permettant de simuler la métallurgie à différentes échelles ; les méthodes ab-initio, les méthodes Calphad, la simulation de la microstructure ou encore les méthodes utilisant l’IA (Machine Learning, …). Ces méthodes peuvent être déployés seules ou bien être couplées. Toutes ces méthodes numériques d’élaboration des matériaux font partie de ce qu’on nomme l’ICME (Integrated Computational Materials Engineering) qui regroupe les différentes approches pour concevoir des produits et les matériaux qui les composent et leurs méthodes de traitement en reliant des modèles à plusieurs échelles de longueur (atomique, micro, meso, macro et échelle de la pièce).
Les méthodes ab-initio

Les méthodes dites ab-initio sont moins connues des industriels car elles sont encore très majoritairement utilisées par le monde académique. Les résultats des logiciels de simulation moléculaire de mécanique quantique ab initio comme VASP (Vienna Ab-initio Simulation Package) ou Open Quantum Materials ou les codes internes développés par les laboratoires de R&D permettent d’alimenter les bases de données thermodynamiques des modèles Calphad. Les méthodes ab-initio, basées sur la physique quantique (équation de Schrodinger, Hamiltonian du système électron-ion, équations de Kohn-Sham), sont complexes, nécessitent des fortes compétences en physique théorique et demandent enfin une puissance de calcul très importante (Cloud Computing, cluster de PC, Cray, calculs parallélisés, …) car les pas de temps (picoseconde) et les dimensions spatiales (10-12 m) sont très petits. Ces méthodes ont l’avantage de ne pas nécessiter l’existence de bases de données matériaux (d’où leur nom d’ab-initio) car elles modélisent les propriétés intrinsèques du matériau au niveau atomique. On peut penser qu’avec l’arrivée probable des ordinateurs quantiques dans la décennie à venir, elles prendront une place de plus en plus importante en métallurgie numérique et pourront sortir des laboratoires de recherche.
Les méthodes CALPHAD

Les méthodes de simulation CALPHAD (pour CAlculation of PHAse Diagram) permettent, pour une composition chimique donnée, de calculer le diagramme d’équilibre (binaire, ternaire, …), les phases en présence en fonction de la température (et de la pression), la température de liquidus et solidus de l’alliage et diverses propriétés (masse volumique, conductivité thermique, …, viscosité, Rp0.2) en fonction de la température. Ces méthodes reposent sur la constitution de bases de données regroupant des données expérimentales mais aussi issues, pour certaines, de calculs ab-initio et d’interpolations. De nombreux logiciels du commerce sont disponibles pour réaliser des calculs Calphad : Thermo-Calc, JMatPro, Factsage, Matcalc, Mtdata, Pandat, Seqsy. La plupart sont généralistes et prennent en compte les différentes familles d’alliages alors que d’autres, plus rares, sont spécialisés (acier). Il existe aussi des codes open-source comme OpenCalphad ou des librairies Python dédiées (PyCalphad). Les méthodes Calphad nécessitent des compétences de métallurgistes tout comme l’utilisation de codes de simulation de CFD ou de thermique nécessite de connaitre les lois de la fluidique ou de la thermique. Il y a lieu en effet de sélectionner les modèles ad-hoc et les hypothèses de calcul et d’interpréter les résultats en fonction de la problématique à résoudre.
L’alloy Design avec Thermo-Calc
L’alloy Design avec Thermo-Calc, dont nous avons déjà parlé sur MetalBlog, permet au CTIF d’assister les industriels en utilisant la méthode Calphad sur l’amélioration d’un alliage ou la détermination des propriétés optimales sous certaines contraintes (températures, pression, modification d’un élément d’alliage ou diverses impuretés). Les diagrammes d’équilibre sur les différentes bases (fer, nickel, aluminium, oxydes) positionnent les phases en présence et en particulier les phases bénéfiques et les phases à limiter. Des calculs en batch peuvent être lancés qui permettent d’explorer également des compositions ou des températures variées. Les algorithmes génétiques – qui feront l’objet d’un prochain article – sont également de puissantes méthodes, pour optimiser une nuance d’alliage.
La simulation du traitement thermique

La simulation des évolutions de la microstructure lors du traitement thermique peut être réalisée à l’aide de logiciels comme Forge (Transvalor) qui permet de suivre les évolutions de la microstructure en fonction de la température de la pièce, de sa géométrie, du fluide de trempe (eau, huile) ou de la vitesse de trempe. Là encore, des bases de données sont nécessaires sur le matériau métallique ou les liquides de trempe. La simulation de la trempe par exemple peut être utile pour une grande pièce afin de déterminer en amont les meilleurs paramètres (position, vitesse, …) ou pour optimiser un TTH pour des pièces de grande série en évaluer l’impact de variation de process (température de lopin, température de fluide, vitesse de trempe) pour mieux contrôler si besoin les paramètres sensibles.
La simulation de la microstructure

Pour simuler la microstructure lors de la solidification, différents codes de calcul sont disponibles (Digimu, Micress, CAFE pour Cellular Automaton Finite Element, …). Ces codes s’appuient sur une base de données de matériaux, sur des modèles de germination et de croissance des grains et sur les gradients thermiques dans le moule lors de la solidification. Ces modèles intègrent les transformations en phase pâteuse mais ne permettent en général pas de modéliser les transformations très rapides à l’état solide (austénite/martensite). Les paramètres du modèle peuvent demander un recalage si l’alliage n’est pas documenté. En général, pour limiter le temps de calcul, on simule la microstructure localement dans une ou plusieurs zones de pièces et non pas dans l’ensemble de la pièce.
Les plans d’expérience numériques
Les calculs de simulation (Calphad, microstructure, …) peuvent être lancés et analysés unitairement. Si cette méthode est facile à mettre en œuvre, elle est limitative car elle ne permet pas d’explorer de nombreuses variables à différents niveaux. Pour aller plus loin, on peut lancer des plans d’expériences numériques (au sens Taguchi), ce qui permet de limiter le nombre de calculs (si ceux-ci sont « gourmands » en CPU) et tirer profit de la méthode bien éprouvée des plans d’expériences.
Les réseaux de neurones

On peut également utiliser les réseaux de neurones (Machine Learning) pour prédire la limite d’élasticité, la résistance mécanique et le module de Young à partir de la microstructure et des phases présentes (% ferrite, % bainite, % martensite…). Si certains modèles sont basés sur la composition chimique, tenir compte uniquement de la microstructure (et des phases) nécessite moins de données d’entrée en permet de plus de tenir compte du process de transformation (TTH y compris). Le Machine Learning peut être cependant limitatif car il nécessite une base d’apprentissage conséquente et il ne permet que très difficilement la prédiction de nouveaux alliages (hors périmètre de la base d’apprentissage initiale). Enfin, le Machine Learning possède un biais d’explicabilité (« effet boite noire »). Les modèles basés sur la physique sont sans doute plus performants et généralisables.
Les méthodes hybrides
Si l’on peut utiliser la méthode Calphad ou la simulation de microstructure seule , on peut aussi coupler ces méthodes ensemble et avec du traitement de données issues de l’IA (Intelligence Artificielle) comme le Deep Learning ou les algorithmes génétiques (reinforcement learning). Le Deep Learning qui nécessite de nombreuses données peut être ainsi avantageusement alimenté par l’interrogation des outils Calphad.
Vers une chaîne numérique complète
Dans l’idéal, l’ingénieur souhaiterait pourvoir simuler à la suite et de manière très fluide les opérations de fonderie (ou de coulée continue, de forge, …, fabrication additive), récupérer les imperfections (internes, externes) et la microstructure dans toute les zones de pièce, lui appliquer un traitement thermique, simuler les opérations d’usinage et utiliser les résultats pour in fine réaliser un calcul de tenue mécanique (statique, fatigue). A l’heure actuelle, cette chaîne numérique complète n’existe pas ou uniquement dans de très rares cas. Elle est en effet complexe à déployer car elle fait intervenir des logiciels issus d’éditeurs divers (pas d’interopérabilité), des modèles à différentes échelles (micro, meso, macro), plusieurs types de maillage (différences finis, éléments finis), des bases de données thermodynamiques qui peuvent être différentes (structuration, contenu, …) et enfin elle peut faire appel à des phénomènes physiques encore incomplètement compris et modélisés (mouvement des dislocations, contraintes résiduelles, mécanique des joints de grains ou de phases complexes, …). Les briques individuelles – dont fait partie intégrante la métallurgie numérique – sont cependant en train de se mettre en place peu en peu. C’est sans doute davantage leur interfaçage automatique qui fait défaut.
Le numérique, indispensable pour le métallurgiste
Les outils numériques vont, pour le métallurgiste, devenir de plus en plus indispensables au fur et à mesure de la complétude des bases de données, de l’amélioration de la performance des modèles et de la puissance de calcul disponible (CPU). On l’a dit cependant, l’expérimental sera toujours nécessaire pour valider les meilleurs candidats d’ « alliages numériques », tester des hypothèses (non modélisables), …, ou pour « recaler les modèles ». Enfin, l’Expertise humaine est indispensable pour mettre en œuvre expérimental et numérique, déployer des plans d’essai et interpréter les résultats.