
De Re Metallica - Georgius Agricola - la bible de la métallurgie en 1556.
La première bible de la métallurgie, De Re Metallica, fût publiée en 1556 par Georgius Agricola. Cet ouvrage, constitué de 12 livres, présentait la synthèse des connaissances de l’époque en métallurgie. L’auteur y propose, pour la première fois, une description des minéraux fondée sur leurs propriétés physiques (couleur, éclat, dureté, densité, goût, odeur…). Dans cet article, nous présenterons les sujets abordés dans cet ouvrage, sa finalité, son auteur et les limites de l’état de l’art de l’époque.
La vie de Georgius Agricola

Georgius Agricola, de son vrai nom Georg Bauer, est né en 1494 à Glauchau en Saxe dans une famille que l’on suppose avoir été d’une certaine aisance car 3 de ses sept frères fréquentèrent l’université. Son père était artisan tisserand et teinturier. Il poursuit ses études (latin, grec, ..) à Zwickau et latinise son nom, pratique très courante à l’époque dans le monde cultivé. Il part pour l’Italie où il étudie à Bologne en 1523 la chimie, la physique, les mathématiques et l’astronomie et parcourt le pays (Venise, Padoue, …) période pendant laquelle il découvre l’art italien et différents ouvrages techniques. De retour dans son pays à 30 ans, il devient médecin municipal à Jachymov (en république Tchèque actuelle), ville qui connait alors un essor considérable grâce à l’exploitation de riches mines d’argent. Constatant que les ouvrages sur la métallurgie sont très limités, il décide, sur le modèle du De Re Rustica (traité d’agriculture publié en 1472 à Venise et qui compile les textes laissés par les auteurs antiques) de réunir la somme des connaissances de son époque dans un ouvrage qui lui prendra 20 ans à parachever. Il décèdera à 61 ans. Son ouvrage sera publié quelques mois plus tard en 1556 par son ami Froben. Si Agricola est surtout connu pour son De Re Metallica, l’un des livres importants de la fin de la Renaissance, il publia également 5 autres ouvrages sur des sujets très divers : la grammaire, les poids et mesures, la théologie et la philosophie, …, la minéralogie.
Les sujets techniques traités dans De Re Metallica

L’ouvrage De Re Metallica qui signifie en latin « de la métallurgie », est divisé en 12 chapitres, dits livres dans l’édition originale. Ces chapitres traitent successivement de l’utilité des mines et de la métallurgie pour les hommes (livre un), de la recherche des gisements et la prospection (livre deux), des filons métalliques, leur disposition et la façon de s’orienter sous terre (livre trois), des concessions minières, leur délimitation et la réglementation des mines (livre quatre), de la description des puits et galeries, l’emploi du feu et des moyens et instruments d’arpentage et de mesure sous terre (livre cinq), des machines utilisées dans les mines pour l’extraction, l’aération et la descente (livre six), des fourneaux, creusets, balances et étalons et poids (livre sept), de la préparation du minerai avec le broyage, le tamisage, le lavage, le grillage (livre huit), de la fusion des minerais (fourneaux et fours), de la préparation de l’or, de l’argent, du cuivre, du plomb, de l’étain, de l’acier, du mercure, de l’antimoine et du bismuth (livre neuf), des métaux précieux affinage et préparation (livre dix), de l’affinage du cuivre (livre onze) et enfin de l’extraction des sels minéraux et de la fabrication du verre (livre douze). En annexe figure également un livre sur les créatures (serpents, insectes, …) qui vivent sous terre.
La définition du métal selon Agricola
En latin, le mot « metallum » désigne en même temps la mine, le minerai et la substance métallique (or, cuivre) et Agricola est bien conscient de cette ambiguïté. Il donne alors du métal (metalla) une définition précise : « Un métal est un corps extrait du sol, liquide ou liquéfiable par la chaleur du feu. Quand il se refroidit, il revient à sa dureté et à sa forme antérieure. En cela, il diffère des pierres fusibles, car celles-ci, une fois refroidies, ne reviennent pas à leur forme antérieure. Il y a six métaux traditionnels : l’or, l’argent, le cuivre, le fer, le plomb blanc (étain) et le plomb noir (plomb). En réalité, il y en a davantage, car le mercure est un métal, quoi qu’en disent les alchimistes, ainsi que le plomb cendré que les Allemands appellent bismuth, et il en reste certainement encore beaucoup d’autres à découvrir. Ainsi, quand on grille la stibine (sulfure d’antimoine), on obtient un métal particulier, et non du plomb comme l’ont dit les auteurs ».
De Re Metallica, un ouvrage innovant et très illustré

L’ouvrage est abondamment illustré, fait plutôt rare à cette époque. En effet, 292 gravures techniques explicitent le texte. Ces illustrations représentent des machines, …, des outils, des implantations d’ateliers métallurgiques. Le format original des illustrations était souvent celui d’une page entière. Pour ses dessins sur le terrain, Agricola se faisait aider de « dessinateurs pictores » (peintres) en les rétribuant, ce qui lui permettait d’en exiger un travail précis. Sur les illustrations, Agricola donne les dimensions des machines et outils. Il faut aussi noter que toutes les machines qui illustrent son ouvrage ont existés et ont fonctionnés, ce qui n’est pas le cas général dans les ouvrages de machines de cette époque où certains auteurs inventaient des concepts (Ramelli, Leonard de Vinci, …). De Re Metallica connut de très nombreuses éditions au travers l’histoire et des traductions dans de nombreuses langues. La première traduction en français parut en 1650.
Les atouts et les limites de l’ouvrage

Si De Re Metallica contient un très grand nombre de pages avec de nombreux détails techniques et illustrations, il est aussi le reflet de son époque. Il contient ainsi une analyse purement descriptive et essentiellement qualitative des phénomènes métallurgiques et des moyens, machines et outils utilisés. Les techniques utilisées sont décrites, mais rarement critiquées ou remises en cause ou en perspective. Cependant, le texte est très factuel et relativement clair dans ses explications. De plus, au-delà des aspects purement techniques, l’aspect humain est toujours abordé avec mention des risques lié à la sécurité des travailleurs (dans les mines, ..). Ainsi, au chapitre six du De Re Metallica, Agricola, pour illustrer les dangers des éboulements, relate que « Quand jadis, le Rammelsberg à Goslar s’est effondré, les annales nous racontent qu’il y eu tellement d’hommes écrasés dans un éboulement, qu’en un seul jour, environ quatre cents femmes devinrent veuves ». Il donnera ensuite des moyens pour prévenir et limiter les éboulements en consolidant les galeries sous-terraines. Les aspects économiques sont également abordés et par exemple la rentabilité des mines ou des productions est décrite.
Agricola, un savant mais avec les croyances de son époque
Si l’approche d’Agricola est relativement moderne, elle n’échappe pas cependant aux croyances de l’époque. Ainsi, il précise que les dangers aux fonds des mines proviennent aussi (en plus des éboulements, manque d’air, …) de « démons affreux » qui sont chassés et mis en fuite par des prières et par le jeûne. De plus Agricola a écrit également un traité sur la recherche de la pierre philosophale (De Lapide philosophico en 1531) qui rappelons-le était censé pouvoir transmuter le plomb en or. On peut reprocher également, au De Re Metallica, le ton très affirmatif de l’auteur, et son absence d’hypothèses ou de remise en cause de certaines pratiques techniques qu’il décrit. Il est vrai, à sa décharge, que le doute Cartésien ne sera inventé qu’un siècle plus tard.
La croissance des métaux
Pour Agricola, comme pour les scientifiques de son époque, les gîtes métallifères se reconstituent progressivement. Des auteurs sérieux de l’Antiquité ont en effet affirmé que les mines de fer de l’île d’Elbe se remplissent après une période de jachère. Galien a observé que des masses de plomb, exposées à l’air humide, s’alourdissent. Agricola dit avoir vérifié lui-même en Saxe l’alourdissement du plomb et le remplissage des galeries. Mais alors que les alchimistes du moyen-âge envisagent la croissance des métaux sur un mode biologique (un filon métallique serait comme une plante inversée), pour Agricola, le processus est purement physique et inorganique. Pour lui, un métal est un mélange de deux des éléments fondamentaux de la philosophie Aristotélicienne, la terre et l’eau (infiltrée dans la terre).
Un descriptif qualitatif des techniques
Au niveau quantitatif, De Re Metallica ne cite que des longueurs (principalement des outils, machines, instruments), des quantités (la livre, un tiers de livre, un sixième de livre) et des durées (un jour, dix jours, …). Aucune notion (et mesure) de température n’existait à l’époque. Il est précisé par exemple que des éléments sont « chauffés dans un creuset jusqu’à ce qu’ils se liquéfient ». Les gammes opératoires sont cependant assez bien décrites et permettent de suivre les différentes opérations de purification de l’alliage. De plus, différentes technologies sont relatées (essentiellement européennes ou méditerranéennes) et permettent de donner plusieurs méthodes de purification fonction des matériaux disponibles. Des références techniques tirées de textes antiques latins ou grecs (Pline, …) sont souvent données, qui bien que beaucoup moins précis que l’ouvrage d’Agricola sont gage de sérieux pour l’auteur. Enfin, à la lecture du texte d’Agricola, on a l’impression que les techniques sont figées dans le temps évoluent assez peu. Ce qui traduit sans doute les lentes évolutions techniques de cette époque.
La métallurgie dans l’ouvrage De Re Metallica
Une partie importante des textes, pour la partie métallurgique, traite des technologies d’extraction minière et d’affinage ou de séparation des différents métaux entre eux (cuivre, or, plomb, …). On peut penser que cette problématique était au cœur des préoccupations et interrogations des artisans de l’époque qui devaient, à partir d’un minerai fait d’un mélange de pierre et différents métaux, en extraire des nuances les plus pures possibles. Précisons qu’à l’époque d’Agricola, aucune distinction claire n’était faite entre le fer, l’acier et la fonte et que le rôle du carbone n’était pas connu, ni celui des éléments d’addition. On appelait ainsi fer tout alliage à base de minerai de fer. Malgré cela, il était clairement connu que le minerai extrait conduisait à un mélange de différents métaux que l’artisan devait séparer entre eux.
La diffusion des connaissances métallurgiques
De Re Metalica parut au Cinquecento (XVIème siècle), la dernière période de la Renaissance en Europe. La Renaissance est caractérisée par l’imitation de l’Antiquité (considérée comme ayant déjà atteint la perfection) et voit naitre des changements de paradigmes majeurs : l’humanisme, le rationalisme, l’individualisme, le conquête du nouveau monde, le dualisme corps-âme. La diffusion des savoirs et connaissances connut un essor sans précédent grâce à l’imprimerie (inventée en 1450) qui permit aux ouvrages (bien qu’encore couteux) d’être largement diffusés. Le De Re Metallica contribua ainsi , pour sa part, à la diffusion des techniques et à l’essor du développement futur de la métallurgie moderne dont il posa les bases.
Conclusion
De Re Metallica, illustré de nombreuses gravures, est une synthèse assez exhaustive des connaissances de l’époque en matière de géologie minière, de minéralogie et de métallurgie. L’ouvrage a profondément marqué son temps, mais aussi les deux siècles qui ont suivi. En remettant en cause une partie des explications d’Aristote comme celles des alchimistes de l’époque sur la formation des métaux, Agricola a préparé la voie à la métallurgie moderne. Cependant, Agricola est resté enfermé dans le carcan des quatre éléments fondamentaux (l’air, la terre, l’eau et le feu) à l’origine de tout, ce qui l’empêche d’arriver à la notion de corps simples. S’il est aujourd’hui techniquement dépassé, et du domaine de l’histoire des sciences, son contenu et l’approche purement descriptive développée par l’auteur étaient étonnamment moderne pour son époque. Encore maintenant, Agricola est considéré par certains comme le père de la minéralogie et de la métallurgie.