
Modification du silicium eutectique.
La morphologie des particules de silicium eutectique a un effet sur plusieurs propriétés des alliages Al-Si, principalement sur les propriétés mécaniques. Elle doit donc être maîtrisée. Les agents qui influencent cette morphologie sont essentiellement le sodium, le strontium, l’antimoine et le phosphore et dans une moindre mesure, le calcium. Ces agents ont également un effet sur le comportement à la retassure.
Les différentes structures de l’eutectique

Représentation schématique des formes de silicium (lamellaire, aciculaire et fibreuse).

Structure lamellaire – micrographie et MEB.
Les alliages Al-Si sont caractérisés par la présence de particules de silicium, qui apparaissent sous différentes formes (lamellaires, aciculaires ou fibreuses). Dans un alliage Al-Si strictement binaire, la structure de l’eutectique est dite « lamellaire ». L’aluminium et le silicium se solidifient alors en même temps en couches minces parallèles.

Structure fibreuse – micrographie et MEB.
Cependant, l’aluminium primaire utilisé pour élaborer les alliages contient toujours quelques ppm de phosphore, qui suffisent pour donner aux particules de silicium une structure dite « aciculaire ». Enfin, l’ajout d’éléments alcalins comme le strontium ou le sodium en quantité suffisante permet d’obtenir une structure dite « en corail » ou « fibreuse ».
On emploie aussi quelquefois les termes « silicium globulaire » ou « silicium globulisé », mais en toute rigueur ces termes s’appliquent à une structure fibreuse après un traitement thermique T6, T64 ou T7.
Structure sous modifiée ou sur modifiée

Structure sous modifié et sur modifié AlSi13.
Lorsque la teneur en élément modificateur est trop faible, on observe une structure dite « sous modifiée ». Elle est caractérisée par des zones de sous-modification (lignes blanches) dans lesquelles le silicium est mal ou non modifié. A contrario, lorsque la teneur en élément modificateur est trop importante, on observe une structure dite « sur-modifiée ». Elle est caractérisée par des zones blanches de sur-modification dans lesquelles on observe du silicium granulaire. A noter que si la teneur en phosphore est suffisamment basse, la structure lamellaire peut être rétablie avec un ajout d’antimoine de l’ordre de 0,01 %.
Avantages et inconvénients des différentes structures
Chaque structure d’eutectique présente des avantages et inconvénients. Tout d’abord, la structure aciculaire est très défavorable vis-à-vis de la ductilité de l’alliage, surtout avec de faibles vitesses de refroidissement (moulage en sable) qui donnent des cristaux de grande dimension. La structure fibreuse, par contre, est très favorable à tous points de vue. Enfin la structure lamellaire permet d’obtenir des structures comparables à celles obtenues avec le sodium ou le strontium, pour des vitesses de refroidissement suffisantes (pièces peu épaisses coulées en coquilles) et après un traitement thermique de mise en solution qui globulise le silicium.
Les mécanismes de la modification des alliages d’aluminium
Les mécanismes qui régissent la modification des microstructures interviennent au niveau de la germination du silicium à partir des germes de phosphure d’aluminium et de la solidification, suivant les plans de croissance privilégiés. L’absence de phosphore ou la destruction du phosphure d’aluminium par le sodium, le strontium ou l’antimoine conduit à la structure lamellaire. En plus de leur action sur la germination, le sodium et le strontium « polluent » les plans de croissance privilégiés du silicium. Cette pollution induit un maclage important, qui conduit à une structure fibreuse (globulaire après traitement thermique).
La modification par le sodium
La modification par le sodium est pratiquée soit avec des flux (mélanges de sels qui libèrent le sodium en fondant au contact du métal liquide), soit avec du sodium pur (disponible en sachets-doses ou en capsules-doses étanches pour éviter son oxydation). La quantité nécessaire pour une modification suffisante dépend du procédé de moulage, qui conditionne la vitesse de refroidissement et de la teneur en phosphore de l’alliage. Elle varie généralement entre 50 et 100 ppm et, compte-tenu d’un rendement de 50 % ou moins, les doses à introduire sont de 100 à 300 ppm. La modification par le sodium présente l’avantage (par rapport à l’emploi de strontium et d’antimoine) de permettre une bonne efficacité du masselottage pour les alliages hypo-eutectiques, lorsque la géométrie est défavorable et une modification de la morphologie de la retassure, pour les alliages eutectiques.
Par contre, la modification au sodium présente également des inconvénients. On note ainsi un gazage des bains à l’introduction du sodium, qui peut toutefois être combattu par un dégazage au rotor (ou à la canne). On note cependant un regazage rapide après un traitement de dégazage. Le sodium va diminuer également la coulabilité de l’alliage. Et enfin, le sodium a un effet fugace car il s’évapore très rapidement à la surface du bain. La durée de son effet excède rarement une demi-heure. Il existe toutefois des flux en pastilles à déposer sur le bain de métal liquide, qui compensent la perte de sodium en fondant.
La modification par le strontium

Modification au strontium avec constituants Al2Si2Sr.
Le strontium n’est pas disponible sous forme métallique. On ne l’utilise donc que sous forme métallique (très réactif comme le sodium) et plus classiquement sous forme d’alliages-mères. Les teneurs nécessaires pour avoir une modification suffisante dépendent du procédé de moulage – qui conditionne la vitesse de refroidissement – et de la teneur en phosphore de l’alliage. Pour un AlSi7Mg, elles varient entre 80 et 120 ppm (loin des 500 ppm préconisé lors des débuts de son utilisation industriel). Compte tenu d’un rendement élevé avec les alliages-mères, les doses à introduire sont du même niveau. Néanmoins, le traitement de dégazage peut entraîner une perte pouvant aller jusqu’à 50%. La structure obtenue est caractérisée par la présence de petits constituants polygonaux noirs Al2Si2Sr.
La modification par le strontium (par rapport au sodium) présente l’avantage d’amener un gazage moindre à l’introduction dans le bain et un regazage après traitement de dégazage plus lent. L’’effet du strontium est surtout beaucoup plus durable. Il peut être de plusieurs heures, voire plusieurs jours si le creuset est utilisé sans aucun flux. Enfin, la coulabilité n’est pas altérée. Le strontium présente cependant quelques inconvénients. Le dégazage par barbottage de N2 à la canne est rarement efficace. Il faut ainsi impérativement utiliser un rotor, et le plein effet de la modification n’est obtenu qu’au bout de 1 heure environ. Pour contrer cet effet, certains fondeurs ont pratiqué la « co-modification » par le sodium et le strontium. L’effet immédiat (mais fugace) du sodium est relayé par le strontium. Il semble que cette pratique ait été abandonnée.
Affinage par l’antimoine
L’antimoine est introduit sous forme métallique, en quantités variant entre 0,1 et 0,2 %.
Au contraire de la modification au sodium ou au strontium, le traitement à l’antimoine est réalisé lors de l’élaboration des lingots et non pas par le fondeur lors de la coulée des pièce. Par rapport au sodium ou au strontium, l’antimoine présente plusieurs avantages majeurs. Tout d’abord, Il n’induit aucun gazage, ni à l’introduction, ni ultérieurement. Son effet est permanent. Par contre, l’effet de l’antimoine est moindre. Il ne permet pas ainsi d’assurer une amélioration suffisante de la ductilité des pièces solidifiées lentement. L’emploi de l’antimoine est donc en principe réservé aux pièces coulées en coquille et d’épaisseur modérée. Cet inconvénient est toutefois souvent compensé par le traitement de mise en solution, la morphologie lamellaire permettant une globulisation beaucoup plus rapide du silicium qu’avec la morphologie aciculaire.

Constituant Mg3Sb2 dans un aluminium AlSi7Mg.
L’antimoine n’est pas en solution dans l’alliage liquide, mais sous forme de cristaux Mg3Sb2. Ces cristaux « consomment » du magnésium dans la proportion stoechiométrique : pour une teneur en magnésium donnée et à revenu égal, l’alliage a une résistance plus faible et un allongement plus élevé que l’équivalent modifié avec le sodium ou le strontium, ou non traité. On doit en tenir compte pour déterminer la teneur en magnésium à viser (la teneur en antimoine est généralement de l’ordre de 0,15 %, ce qui entraîne une perte de magnésium actif de 0,045 %).
Ces cristaux, que l’on retrouve dans les pièces après solidification, sont normalement de forme polyédrique, et leur taille est de quelques microns. Cependant, en cas de maintien prolongé à trop basse température (vers 700°C), ils peuvent former des feuillets qui peuvent atteindre 1 mm. Ils ont alors un effet néfaste sur la ductilité. Un court maintien à une température supérieure à 750 °C suffit à recristalliser Mg3Sb2 sous sa forme polyédrique normale et inoffensive. Signalons enfin que pour des raison de législation, les pièces élaborées avec un alliage traité à l’antimoine sont difficiles à exporter aux USA et certains pays nord-européens.
Effet du calcium et des terres rares
Le calcium a un effet analogue à celui du sodium, mais la fourchette de composition nécessaire est très incertaine : la structure obtenue risque d’être hétérogène, avec une juxtaposition de zones bien et sous modifiées. Comme le strontium, le calcium utilisé avec les alliages proches de l’eutectique provoque l’apparition de retassures débouchantes. Il n’est donc pas utilisé comme élément modifiant ; il est même considéré comme une impureté néfaste aux alliages eutectiques. Les terres rares n’ont aucune action bénéfique sur le silicium. Au contraire, associées au sodium, elles consomment ce dernier et abaissent son effet modificateur.
Compatibilité des éléments modificateurs
Certains éléments modificateurs sont compatibles – et peuvent donc être utilisés ensemble- tandis que d’autres sont incompatibles entre eux. Ainsi, le sodium, le strontium et le calcium sont compatibles. A l’inverse, l’antimoine est incompatible avec ces trois éléments, pour lesquels il constitue un poison de l’effet modificateur. Inversement, son effet affinant est perturbé par leur présence, notamment lorsqu’on utilise des flux à base de sels dégageant du sodium. Le phosphore est également un poison de l’effet modificateur pour tous ces éléments. Les quantités à introduire dépendent essentiellement de la teneur en phosphore de l’alliage.

Interaction sodium phosphore sur la structure silicium dans eutectique pour un AlSi13 – diagramme de Nolting.
Les interactions les plus critiques sont celles du phosphore avec le sodium ou le strontium, illustrées par le diagramme de Nolting et du phosphore avec l’antimoine. Elles ont été étudiées sur des échantillons coulés respectivement en sable et en coquille. On voit ainsi que les quantités à introduire pour obtenir la structure souhaitée dépendent de la vitesse de refroidissement.

Interaction antimoine phosphore sur la structure du silicium eutectique.
Le critère de choix d’un agent modificateur

Critère de choix du mode de traitement (strontium, sodium, antimoine) du silicium eutectique.
Si le critère de « ductilité » est généralement celui qui prévaut et conduit au choix préférentiel de sodium, de strontium ou d’antimoine pour les pièces solidifiées rapidement et/ou traitées thermiquement, d’autres critères peuvent être pris en compte. On peut ainsi retenir la sensibilisation au gazage, l’effet sur la coulabilité et la durée de la modification ou encore l’effet sur la morphologie de la retassure.
Caractéristiques d’utilisation du sodium, du strontium et de l’antimoine

Effet des agents modificateurs sur la morphologie des retassures.
Le sodium, le strontium et l’antimoine ont les caractéristiques différentes à l’utilisation.
La réaction du sodium pur est violente, ce qui a tendance à gazer et oxyder le métal. Les vapeurs émises sont irritantes pour le personnel, et corrosives pour tous les objets métalliques. Il existe des lingots d’alliages pré-modifiés.
Moyennant une conservation au sec (ou un étuvage avant utilisation), les flux sont beaucoup moins néfastes que le sodium pur vis-à-vis du gazage et de l’oxydation du métal liquide, peu polluants pour l’atmosphère, mais ils encrassent et corrodent les réfractaires. Le sodium, qui réduit aussi la coulabilité, n’aurait donc que des inconvénients s’il n’avait un effet remarquable sur le masselottage en favorisant l’alimentation inter-dendritique. Et lorsque la retassure apparaît, elle est centrée, alors que le strontium provoque l’apparition de retassures superficielles.

Cinétique de regazage fonction de l’agent modificateur.
La forte tendance du strontium à gazer et oxyder le métal, observée à l’époque où il était introduit pur, ne se retrouve pas avec les alliages-mères, sauf si la qualité de ceux-ci pose problème. L’utilisation du strontium ne provoque ni encrassement, ni corrosion des réfractaires. Il est préférable d’utiliser des alliages prémodifiés.
La déperdition du strontium est environ 5 à 10 fois plus lente que celle du sodium.
Enfin, l’antimoine est parfaitement stable et inerte vis-à-vis des creusets. Son principal inconvénient est qu’il confère à l’eutectique une structure lamellaire et non fibreuse. Lorsque la vitesse de refroidissement est élevée, les caractéristiques mécaniques obtenues après traitement thermique sont les mêmes que celles obtenues après modification par le sodium ou le strontium. Elles sont en revanche inférieures lorsque le refroidissement est lent, notamment l’allongement à la rupture. Les alliages affinés avec l’antimoine sont donc généralement réservés à la coulée en coquille de pièces minces. Ce sont des alliages pré-affinés.
Contrôle de la structure de l’eutectique

Schéma de principe de l’analyse thermique.
Lorsque le process est bien encadré, l’analyse chimique peut suffire à condition de doser les trois éléments « modificateurs » (Na, Sr et Sb) et le phosphore, compte tenu de son influence très importante. Lorsque l’analyse chimique est insuffisante pour garantir le résultat, deux autres méthodes peuvent être utilisées : l’examen micrographique et l’analyse thermique.
La structure de l’eutectique peut en effet être facilement déterminée par un examen micrographique, mais le délai de réponse n’est généralement pas compatible avec les impératifs de production. On peut effectuer un examen visuel ou à faible grossissement de la section de rupture d’un barreau, mais cette technique repose sur l’expérience de l’opérateur. Elle n’est généralement efficace que pour différencier un alliage bien modifié d’un alliage à structure aciculaire.
Utilisation de l’analyse thermique

Courbe analyse thermique – allure générale.
Le procédé le plus efficace pour contrôler la modification est l’analyse thermique qui consiste à enregistrer avec un thermocouple l’évolution de la température pendant la solidification d’un échantillon. Les différents « accidents » observés sur la courbe correspondent à l’apparition des différentes phases : cristaux primaires, eutectiques successifs, …
La structure de l’eutectique Al-Si peut être évaluée d’après la valeur de la surfusion préalable et la température et la durée de ce palier. L’allure du palier est par ailleurs caractéristique lorsque l’alliage est traité avec le sodium, et bien modifié. En effet, le palier est alors particulièrement plat, et s’interrompt de façon nette.

Courbe analyse thermique – zoom sur la zone eutectique.
Comme la température du palier eutectique dépend de la teneur en magnésium, et que la surfusion ne varie pas de façon linéaire, la mise en évidence de la structure de l’eutectique n’est pas simple. Cette détermination peut être établie de différentes manières. Par comparaison avec des références internes ou à l’aide d’un logiciel d’exploitation (à partir de données établies pour les différents alliages).
Excellent cet article, merci !
Bonjour Jacques et merci pour ton retour sur la qualité de cet article sur la modification du silicium eutectique des alliages d’aluminium.
Très instructif. Les alliages très hypereutectiques sont intéressants également, pour leurs performances mécaniques et tribologiques.
Bonjour Thiébaut et merci pour votre avis très positif. Comme vous le dites, les alliages hyper-siliciés (AlSi17Cu4 par exemple) ont en effet des propriétés tribologiques très intéressantes. Ils sont cependant encore assez peu utilisés industriellement car plus couteux et moins facile à transformer.
Low silicon and scandium plus zirconium can be an interesting alloy.
[Traduction : les alliages bas silicium et scandium plus zirconium peuvent être des alliages intéressants.]
Hi Geoffrey.
Thank you very much for your comment.
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Bonjour très bon article sur la modification.
Je voulais faire remarquer qu’après traitement thermique, l’ antimoine a tendance à former des oxydes favorisant l’apparition de taches brunes sur les pièces obligeant à grenailler les pièces pour garantir un bel aspect.
Bonjour l’Alchimiste 🙂 Merci pour votre intérêt pour notre article sur la modification et pour votre retour d’expérience sur l’antimoine.
Bonjour, vos articles sont toujours une mine d’or !
L’élaboration de ces nuances peut-être complexe, plus largement, est-ce le quotidien du fondeur de réaliser cela ou bien s’approvisionne t-il directement avec des lingots de nuance bien identifiée ?
Pour des productions artisanales, il est facile de trouver des approvisionnements d’alliages d’alu corroyés pour l’usinage mais j’ai du mal à trouver des lingots de nuances précises. Dois-je en conclure que les fondeurs élabore leurs mélanges lors de la fusion (par exemple: AS2GT; EN AC -41000; EN AC-ALSi2MgTi) ? J’espère ne pas être trop loin du sujet de l’article.
Bonjour Olivier et merci de votre intérêt pour MetalBlog. Les fondeurs d’aluminium s’approvisionnent avec des lingots déjà titrés et à la bonne composition et rajoutent, dans certains cas, des éléments affinant ou modificateurs (objet de cet article de MetalBlog). Effectivement, il est difficile d’acheter des lingots à l’unité, car il y a une quantité mini à commander et certains alliages (AlSi2MgTi) sont beaucoup moins utilisés. Vous parlez de « production artisanale », attention aux problèmes de sécurité (brulures, réaction avec de l’eau, …). Sinon, si la nuance est atypique ou innovante, et à des fins de R&D, le CTIF a des moyens dans sa fonderie expérimentale pour produire des nuances sur-mesure.
Bonjour M. Stucky.
Merci pour cet article très intéressant. Concernant les diagrammes présentant les interactions entre phosphore et éléments modificateur / affinant, la coquille est présentée en rouge sur le premier et en bleu sur le second. Est-ce correct ? En effet, à iso ppm de phosphore, il faut moins d’antimoine en coquille qu’en sable pour pouvoir obtenir une structure lamellaire. Le second diagramme montre pourtant l’inverse. Dans l’attente de vos éclaircissements.